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Mourad Papazian

Mourad Papazian

 « Je n’ai jamais eu de complexes. Je n’ai jamais calculé pour trouver un équilibre entre mon engagement militant, ma vie professionnelle et privée.  Mon engagement militant, je l’ai dans la peau, il m’est impossible d’abandonner le militantisme tant que l’on aura un combat à mener. » 
 

Entrepreneur ambitieux et coprésident du Conseil de coordination des associations arméniennes de France (CCAF), Mourad Papazian, également connu par son autre prénom Franck, appartient à la troisième génération des Arméniens de France, celle de l’action. En 2002, il a créé un groupe de formation aux métiers de la communication et des médias, qui s’est développé et progressivement implanté dans huit villes d’Europe : Paris, Strasbourg, Toulouse, Marseille, Nice, Bruxelles, Barcelone, Londres, et bientôt Shanghai. Mais les Arméniens de France le connaissent surtout comme un de leur principaux porte-voix auprès des dirigeants français. Depuis une quinzaine d’années, il ne cesse de porter le combat de la cause arménienne auprès des décideurs de son pays. 

Arrière-petit-fils de curé

Alfortville, cette petite Arménie à deux pas de Paris, arbore fièrement les couleurs arméniennes. Elle est chère aux Arméniens pour son école flambant neuve, son église au charme discret, ses divers centres communautaires, et surtout AYP FM, la radio des Arméniens de la région parisienne. Son directeur, Henri Papazian, le père de Mourad, est fidèle au poste. 74 ans, la barbe blanche, les mains croisées, il soupire : « Je ressens une immense frustration car ni moi, ni mes frères et sœurs n’avons pu enregistrer notre père à temps. »

Né en 1899 dans le village de Artchesh au nord du lac de Van, son père, Khoren Chahnazarian, était le fils d’un caana (prêtre marié) d’où le nom de Papazian (fils de curé). Adolescent, Khoren a vu son père se faire décapiter sous ses yeux. Unique survivant de la famille avec son frère Avedis de cinq ans son cadet, ils ont erré, traqués, affamés, des années durant ils sont passés d’orphelinat en orphelinat, et ils ont survécu en travaillant dans des fermes.  Après la guerre, ils sont arrivés à Izmit, une ville côtière située à l’ouest de l’Anatolie. De là, ils ont embarqué pour la Grèce à Kavala. Dans cette ville de Thrace occidentale située sur la côté égéenne, une petite communauté arménienne s’est formée. Khoren y a ouvert un restaurant dans lequel il a côtoyé quelques figures politiques arméniennes en exil.  C’est aussi là qu’il a rencontré sa femme, Arpiné Babikian.

Le menu du restaurant de Khorèn Papazian à Kavala, © collection privée Henri Papazian

Née en 1907 à Manisa dans la banlieue de Smyrne (l’actuelle Izmir à l’ouest de la Turquie), Arpiné avait une soeur et deux frères : Sirarpi, Krikor et Kevork. Tous les trois et leur mère ont pu s'échapper à l'incendie de Smyrne en1922.

Mariés en Grèce, les grands-parents de Mourad ont pris le bateau. « Ils devaient partir pour l’Argentine mais le hasard a fait qu’ils se sont arrêtés à Marseille », indique Henri. Benjamin de quatre frères et sœurs, Henri est né à Décines près de Lyon, son père travaillait dans une fabrique de soierie. La famille logeait dans la cité industrielle et était impliquée dans la vie communautaire. Puis après la guerre, en 1947, ils se sont installés à Bagneux en banlieue parisienne. Henri a milité très tôt et est devenu un haut responsable du parti socialiste arménien, Dachnaktsutiun, et, parallèlement, il est parvenu à la force du poignet à diriger un grand groupe informatique. Marié avec Odette Arevian, une Arménienne dont la famille est originaire de Nalihan, une localité située dans la banlieue d’Ankara, le couple a eu deux enfants : Maral et Mourad.

De gauche à droite Mourad, Odette, Maral et Henri © collection privée M. Papazian

Fils de militant

« J’ai grandi avec le Dachnaktsutiun, mais c’est surtout l’exemple de mon père qui m’a poussé dans mon engagement militant. J’étais à l’époque très curieux, je me passionnais pour l’actualité, je dévorais la presse, j’écoutais la radio avant de dormir, j’assistais à toutes les conversations d’adultes … j’enregistrais tout », s’enthousiasme Mourad. 

Adolescent, la lutte armée que menaient des jeunes Arméniens a eu un impact très fort chez lui.

« Quand on est enfant, on n’aime pas être du côté des faibles. Et là, de voir des Arméniens relever la tête, mener un combat, cela a généré à la fois de la fierté mais aussi de la discussion, un débat d’idées, des interrogations.

C’était le moment où il y avait des débats idéologiques, une période où la cause arménienne commençait à renaître par une actualité qui la mettait au-devant de la scène médiatique. Le fait arménien a commencé à exister à partir de cette période », se souvient-il.

Mourad étudiant © collection privée M. Papazian

Parmi les différents leaders dachnaks qui l’ont nourri et inspiré, le nom de l’ancien secrétaire général du parti Hraïr Maroukhian, qu’il a connu très jeune, revient souvent. « C’était une vraie personnalité dotée d’une stature d’homme d’État, un homme politique au sens noble du terme, et pour moi un père spirituel, je recherchais vraiment sa présence», se souvient celui qui, adolescent et jeune adulte, a nourri une véritable relation politique et personnelle.

1986 Mourad fête les 40 ans du journal Haïastan, l'organe de la FRA Nor Seround © collection privée M. Papazian

Partir avec un handicap dans la vie                                                                   

À l’âge de cinq ans et demi, Mourad a eu un très grave accident. Une violente chute l’a plongé dans le coma. Pendant huit jours le petit garçon est resté entre la vie et la mort. Il a été paralysé un certain temps du côté droit, et sa vie s’en est trouvé bouleversée. « À la maison de rééducation, on m’a dit : « Tu ne pourras pas écrire de la main droite, il faut que tu écrives de la main gauche. » Je me souviens comme d’aujourd’hui de mon entêtement à ne pas les écouter, je me suis accroché à ma décision, j’étais droitier et je devais le rester. » Cette volonté, Mourad en a fait très tôt un combat personnel, comme pour mieux dépasser son handicap. « Je n’ai pas retrouvé ma motricité pendant longtemps, je n’ai pas été scolarisable pendant deux ans. J’aurais pu être complexé, cela n’a pas été le cas. Je le dois beaucoup à mes parents qui se sont comportés normalement avec moi. Cette épreuve m’a forcé à me surpasser, partant d’un handicap avec plusieurs années de retard il m’a fallu rattraper le temps perdu, me battre : cela a eu un impact décisif dans mon engagement futur. »

Mourad aime le rappeler à l’envi : son insertion dans le monde professionnel, il la doit beaucoup à ses années passées dans les rangs de l’association Nor Seround où il a milité pour la cause arménienne. « J’y ai fait des choses que l’on ne fait pas ailleurs : fabriquer un journal, récolter des fonds… tout que l’on ne fait pas ailleurs. J’ai acquis une maturité par le militantisme », affirme-t-il.

À 25 ans, il intègre une première agence de communication, ce sera son seul métier. Il enchaînera les agences : de 1988 à 1990 dans le domaine du marketing pour le compte des hôtels Mercure. Puis il collectionne les expériences durant plusieurs années chez diverses agences et annonceurs, avant d’intégrer les équipes de Publicis où il est directeur de clientèle, en charge des budgets automobile, tourisme, banque et mode. En 1999, il rejoint le groupe RTL en tant que directeur des partenariats et des opérations spéciales. En 2002, il rachète l’Iserp-Itaim, école de communication et de journalisme dont il prend la direction. Il en change le nom  en 2008, elle devient l’ECS-IEJ (European Communication School - Institut européen de journalisme), IEJ mais aussi Supdeweb, l'institut Multimédia et Mediaschool exécutive Education. L’ECS compte plusieurs antennes à Paris, Strasbourg, Toulouse, Bruxelles, Barcelone, Madrid et vient de s’installer à Nice et Shanghai.

« On est parti avec 60 élèves, nous en sommes à 2 300 ! », s’exclame-t-il.

« On me dit souvent : Ne t’engage pas, tu vas avoir des problèmes. En fait, c’est exactement l’inverse qui s’est produit ! », aime-t-il à rappeler.  « Mon engagement m’a aidé à m’accomplir professionnellement, je ne cache rien et je suis soutenu par un grand nombre de mes partenaires qui sont devenus « Armenian Friendly ». Ils m’interrogent souvent sur la cause arménienne, grâce à ce réseau professionnel notre combat a gagné beaucoup d’amis dans le monde des médias et de la communication.

Mourad Papazian et François Hollande lors d'un meeting de soutien au candidat à l'élection présidentielle de 2012 DR

Vous avez dit lobby ?

Mourad est une de ces rares personnalités de la communauté arménienne qui tutoie François Hollande, le Président de la République française. Comment fait-il pour concilier engagement politique et déontologie professionnelle ? « Je n’ai pas de complexe avec cela, pour la simple et bonne raison que le lobbyisme est un signe de bonne santé de la démocratie, sans démocratie, il n’y a pas de lobby. Certains critiquent la politique électoraliste. Il y a des élections pratiquement tous les ans en France, et c’est tant mieux que le citoyen puisse avoir les moyens de se faire entendre des gouvernants. C’est quand même lui qui les élit ! Un lobby qui exprime des idées et se bat pour la défense de ses intérêts ne peux exister que dans une démocratie », affirme-t-il.

À ses yeux, le président Hollande est celui qui est allé le plus loin dans l’engagement pour la cause arménienne.

« François Hollande est notre interlocuteur et partenaire depuis une quinzaine d’années, il s’intéresse de près à l’Arménie, où nous l’avons amené la première fois en 2007. Nous avons mené des combats en commun, il y a une proximité de vues et une réelle intimité. Nous l’avons aidé à devenir candidat et à gagner la primaire du PS, puis les élections présidentielles. Ce sont des choses qui ne s’oublient pas. Une fois Président de la République, il nous a ouvert toutes les portes des principaux ministères, cela nous a permis d’avancer dans pas mal de dossiers. »

Mourad au Karabagh en 2015 © collection privée M. Papazian

Mourad se souvient avec émotion de ce voyage entrepris en septembre 2007 avec le futur président français.

« Dans l’avion qui nous emmenait en Arménie, François Hollande m’a demandé : « Explique-moi pourquoi le Karabagh est si important pour vous ? »

Je lui ai raconté l’histoire du mouvement, que c’était une question de vie et de mort pour nous, qu’il était impossible de revenir au statu quo ante et que les Arméniens avaient besoin du soutien international. Ce voyage l’a marqué. Il n’a jamais hésité à s’engager à nos côtés, il n’a jamais refusé à chaque fois que nous l’avons appelé, même s’il doit s’engager.»

Au cours de ce voyage, Mourad et ses camarades ont bu une bière sur la place de la République à Erevan en compagnie de François Hollande, alors premier secrétaire du parti socialiste.  Ils lui ont dit : « François, pour nous il faut que tu sois le prochain président de la République ». Il a répondu : « J’y réfléchis, et si cela advient, alors je vous promets que je reviendrai ici en tant que président et que nous boirons de nouveau ensemble une bière arménienne. » Le 12 mai 2014, cette promesse a été tenue.

« Pour eux, nous sommes Arméniens. On est tellement dans la défense de la cause arménienne, ils ont conscience en même temps que nous sommes des bons citoyens français. F. Hollande nous a dit : « On n’a jamais construit une relation pareille avec les autres communautés », rappelle Mourad le sourire aux lèvres.

François Hollande, Président de la République française et Mourad Papazian à Paris lors des cérémonies du 24 avril 2014 DR

Quel bilan du centenaire ?

« Ce bilan est extrêmement positif, on n’a jamais été aussi visibles, des centaines de publications, d’articles, de documentaires et reportages radio ou TV, la tour Eiffel éteinte, le Président de la République à Erevan, le Premier ministre à Paris devant la statue de Gomidas… tout cela, nous le devons à notre unité, au fait que nous avons maintenu cette pression positive dans la société française. » Mourad est fier de percevoir le capital de sympathie dont jouissent les Arméniens auprès de l’opinion française. « Ils se sont aperçu que cela fait cent ans que la Turquie ne reconnait pas le génocide, il y a là une forme d’injustice et les Français n’aiment pas l’injustice », souligne-t-il. Et la réconciliation ? Il est prêt pour sa part à porter son combat en Turquie, conscient que la réconciliation ne se fera pas sans la justice et un processus de réparations. À cinquante ans, ce père de deux enfants a un héritage bien chargé à transmettre à la génération qui vient.

Cette histoire a été authentifiée par l’équipe de chercheurs de 100 LIVES