Margaret Ajemian Ahnert

Margaret Ajemian Ahnert

Margaret Ajemian Ahnert est née à New York et a grandi dans le Bronx. Elle est titulaire d'un mastère en beaux-arts et littérature du Goucher College de Baltimore et d'une licence du Goddard College dans le Vermont. Elle est aussi diplômée de la Barnes Foundation of Fine Arts. Elle a été aussi conférencière au Metropolitan Museum of Art et enseigné la critique d'art dans le cadre du programme "Art Goes to School" dans des écoles primaires. 
 

Femme d'affaires, Ajemian Ahnert a géré une société réalisant des documentaires pour la télévision à New York et à travers le monde. Puis, en tant que copropriétaire du Fernwood Resort and Hotel de Bushkill, en Pennsylvanie, elle a joué un rôle clé dans la gestion de ce complexe hôtelier, dans le cadre d'un important réseau national.

Humanitaire de cœur, Ahnert Ajemian s'implique dans de nombreuses institutions caritatives, dont The Little Flower Children and Family Services à New York, qui lui a remis son "Distinguished Humanitarian Award" en mai 2009. En 2010, Margaret a créé la Fondation Margaret Ajemian Ahnert en mémoire de sa mère, Ester Ajemian. La fondation finance chaque année des bourses d'étude, tous frais payés, pour cinq étudiants en journalisme à Erevan, en Arménie. Les étudiants sont tenus d'obtenir une moyenne égale ou supérieure à 15/20 et d'accepter de travailler en tant que journalistes en Arménie, une fois leur diplôme en poche, durant plusieurs années pour bénéficier de ce financement.

 

Margaret avec des étudiants en journalisme à Erevan, en Arménie

Pour son œuvre en tant qu'auteur et ses contributions à la culture arménienne, Margaret a reçu la Médaille d'Honneur Ellis Island en 2011. Elle est aussi membre de la National League of PEN Women. Dans ses temps libres, elle s'adonne à la voile (elle est titulaire d'un permis de navigation 100 tonnes), à la chasse et à la pêche.

On frappe à la porte

La plus belle réussite d'Ajemian Ahnert pourrait bien être ses émouvants mémoires historiques, The Knock at the Door: A Mother's Story of Surviving the Armenian Genocide [On frappe à la porte : Récit d'une mère survivante du génocide arménien]. L'ouvrage relate la vie de sa mère, Ester Minerajian Aharonian Ajemian, qui survit à toute une série d'événements à peine croyables à Amasya, avant et pendant le génocide arménien, pour finalement refaire sa vie en Amérique. The Knock at the Door a obtenu de nombreuses distinctions et prix, dont celui du Meilleur Livre 2007 de USA Book News et celui des Meilleurs Mémoires historiques du Festival du Livre de New York en 2008. Le titre renvoie au cognement sur la porte que de nombreuses familles arméniennes ont connu - parfois en pleine nuit - signifiant que la police turque les déportait, souvent vers une mort certaine.

 

                                             Ester Minerajian Aharonian Ajemian

 

Ces mémoires sont écrits du point de vue de Margaret, tandis qu'elle rend visite à sa mère, alors âgée, dans une maison de retraite arménienne. Lors de ces visites empreintes de délicatesse, sa mère lui confie une histoire riche et poignante, mais aussi faite de victoire et de survie.

Ester Minejarian naquit dans la belle ville riveraine d'Amasya. Sa mère mourut à la naissance du bébé et son père tomba bientôt gravement malade. Avant de s'éteindre, il la confia, ainsi que ses cinq autres enfants, à un oncle qui, au lieu de s'en occuper, les fit adopter. Ester fut donc élevée par Hadji Hagop Aharonian, un homme relativement aisé, et son épouse, l'austère Pepron, et ne revit plus jamais ses frères et sœurs, excepté son frère Haroutioun, traducteur et soldat dans l'armée turque. Si The Knock at the Door relate principalement les combats que dut mener Ester lors du génocide arménien, Ajemian Ahnert livre aussi de nombreux détails sur la vie quotidienne à Amasya : la nourriture que mangeaient les Arméniens et les fêtes qu'ils célébraient, ainsi que leurs comportements quotidiens vis-à-vis des femmes, de la famille et de la religion. Outre ses qualités littéraires, l'ouvrage revêt une grande valeur anthropologique.

 

Ester Aharonian Minerajian Ajemian (deuxième à partir de la gauche), jeune fille en 1915, juste avant le début du génocide

Lorsque les rumeurs sur les massacres des Arméniens parviennent pour la première fois à Amasya, la famille d'Ester refuse de croire la situation aussi grave. Le frère d'Ester, Haroutioun, réussit à la joindre et à la prévenir, mais ses conseils restent lettre morte - nul ne veut se persuader que des siècles de présence arménienne à Amasya prendront fin aussi brusquement, ou que le voisin se tournera contre son voisin. Ester est finalement déportée avec d'autres Arméniens de cette ville. Elle est témoin du massacre horrible de ses amis et des membres de sa famille. Margaret cite sa mère :

"C'est alors que la pluie tomba... Des trombes d'eau dévalèrent d'une colline voisine, charriant un mélange de cailloux, de sable, de boue et de restes humains. Les petits enfants étaient les plus tristes à voir. Certains glissaient des bras de leurs mères et disparaissaient dans la boue épaisse. Les éclairs, le tonnerre et la pluie battante rendaient apparemment fous les soldats. Ils s'en prirent à nous plus violemment encore, alors que nous courions pour leur échapper. Je tentai de remplir ma petite tasse avec un peu d'eau qui s'écoulait de mon édredon, mais je n'en recueillis que quelques gouttes."

 

           Haroutioun, le frère d'Ester Minerajian Aharonian, en uniforme de l'armée turque

Grâce à son courage et à la bienveillance de son amie Siranouche, Ester survit et se retrouve à Malatya, projetée à l'arrière d'un wagon en partance pour Sivas. Là, elle est mariée contre son gré à un jeune musulman nommé Shamil. Sa nouvelle famille convertit Ester à l'islam, mais elle continue à prier en arménien. Lors d'un autre rebondissement inouï, son frère la retrouve à nouveau et, même s'il disparaît finalement pour de bon, il réussit à la faire cacher par une famille voisine, les Bagradian. Elle rejoint son père adoptif à Amasya, qui vit à nouveau avec sa seconde épouse, une belle Allemande nommée Gretel, devenue Arménienne pour des raisons pratiques.

En 1920, alors qu'une nouvelle vague d'épuration débute, Gretel propose à Ester d'épouser un voisin turc ou de fuir en Amérique avec elle et son père. Ester n'a pas le choix. Elle rassemble ses affaires et entame un voyage périlleux vers l'Ouest :

"On a voyagé en wagon d'Amasya à Samsun. Là on a changé de wagon pour aller à Constantinople. De Constantinople, on a navigué jusqu'à Athènes. À Athènes, on s'est embarqués à bord d'un paquebot grec, le Megalorelass. Gretel et Bedros Effendi étaient en première classe, Eva, Sophia, Aram et moi on était en troisième classe," se souvient Ester.

 

Margaret Ajemian Ahnert avec sa mère Ester Minerajian Aharonian Ajemian

À New York, Ester se lie d'amitié avec un autre Arménien, Albert Ajemian, originaire de Dirvig et dont la famille avait elle aussi souffert durant le génocide arménien. Ils se marient le 24 avril 1921 à l'église arménienne de la 28ème Rue. Rien ne semble devoir être facile pour Ester : le Conseil de l'église refuse tout d'abord de marier le couple, ce 24 avril étant le 6ème anniversaire du génocide arménien, et surtout, parce que, techniquement, des mariages ne peuvent être célébrés durant le Carême. Ajemian Albert achève ainsi son émouvant récit :

"Parfois, j'imagine ma mère se baladant l'après-midi dans la rue où je vis. Je cherche souvent le téléphone pour l'appeler au Foyer Arménien, une habitude quotidienne; certains rituels sont difficiles à briser. Je pense à Oscar Wilde, qui a dit un jour : "La vérité est rarement pure et jamais simple". Je crois qu'Ester repose en paix, après avoir raconté sa vérité."

Henry Morgenthau Jr., le petit-fils de l'ambassadeur des États-Unis dans l'Empire ottoman en 1915, a été si ému par ce livre qu'il l'a qualifié de "chronique inspirée d'une des pires époques de l'histoire humaine," déclarant :

"Si de tels livres avaient été écrits il y a longtemps, l'autre génocide, qui s'ensuivit 25 ans plus tard, aurait pu ne jamais arriver."

 

                                                         Margaret Ajemian Ahnert

L'histoire de la vie d'Ester dérange les négationnistes du génocide arménien au point que plusieurs d'entre eux se sont manifestés lors d'une signature en 2007 chez Barnes and Noble, afin de répandre de fausses informations et interrompre la lecture. Ils furent dûment arrêtés et, comme le note Ajemian Ahnert : "Cet incident m'a effrayée, mais pas au point d'abandonner. Il a même renforcé ma détermination à faire connaître l'histoire de ma mère et révéler au monde la vérité sur ce qui s'est passé en 1915."