Soak cultiva la luzerne pour fertiliser la terre et pouvoir réaliser enfin son rêve de faire pousser du raisin. Quelques années plus tard, il devint le plus important viticulteur de Californie. À sa mort, en l'honneur de ses parents, il légua son domaine de 15 millions de dollars à une fondation pour financer les études supérieures de tous les descendants de ses parents.
Soak survécut au génocide grâce à la décision de ses parents de quitter l'Arménie
A 24 ans, Khatchik, le grand-père d'Hagopian, emmena sa femme Aghavnie, ainsi que leur nombreuse famille et leurs amis - 30 personnes en tout - à des centaines de kilomètres de leur village jusqu'en mer Noire, où ils embarquèrent à bord d'un cargo en route pour les États-Unis. Leur fuite faisait suite au meurtre du père et du frère de Khatchik, et des cinq frères d'Aghavnie lors des massacres qui précédèrent le génocide arménien de 1915. "Ils ont tous pris de grands risques pour arriver à Fresno," rappelle Hagopian. "À son arrivée ici, la famille n'avait pas d'argent. Ils avaient dépensé ce qu'il leur restait pour acheter des billets de train d'Ellis Island jusqu'en Californie."
Ralph, le père d'Hagopian et frère aîné de Soak, avait autant d'ambition et d'esprit d'entreprise que Soak. Suite à ses études au lycée, il commença à conduire un camion et après quelques années de rude labeur, il avait épargné assez d'argent pour lancer sa propre société de transport avec sa femme Juanita comme unique associée. "Quand mon père est mort en 1983, il a légué un million et demi de dollars à ma mère, soit environ trois millions de dollars d’aujourd'hui. Une coquette somme pour quelqu'un qui n'avait pas fait d'études et qui ne parlait pas l'anglais en entrant en maternelle !" poursuit Hagopian.
Soak, Ralph et Juanita n'auraient pas pu donner au jeune Hagopian un meilleur départ dans la vie
Il a travaillé dur et a réussi depuis, faisant carrière trente ans durant en investissant dans le capital-risque technologique. Hagopian a cofondé Brentwood Associates, un groupe de capital-risque et de capital-investissement qui, avec ses autres sociétés qui ont suivi, gère encore plusieurs milliards de dollars. Sous l'égide d'Hagopian, Brentwood investit très tôt dans la société Apple et plusieurs autres entreprises de haute technologie à succès.
Hagopian s'est aussi lancé dans le cinéma, créant Segue Productions Inc. en 1991, qui a développé et produit deux films. Il a été producteur exécutif de Restoration [Le Don du roi], mettant en scène Robert Downey Jr., Meg Ryan et Hugh Grant. Le film a remporté deux Oscars. Hagopian a été aussi l'un des producteurs de Ransom [La Rançon], avec Mel Gibson dans le rôle principal et qui a rapporté 350 millions de dollars à travers le monde - près de 600 millions de dollars au prix actuel des billets.
Au tout début de l'explosion du numérique, Hagopian a cofondé et dirigé le conseil d'administration d'une jeune pousse de l'internet, qui a lui rapporté beaucoup d'argent.
L'intérêt d'Hagopian pour ses origines arméniennes et ses succès en affaires l'ont tourné vers l'économie de l'Arménie. "L'Arménie est un État en lutte avec une croissance qui reste sporadique," s'inquiète-t-il. "Son PIB par habitant est très bas, 6200 dollars, soit huit fois moins que celui des États-Unis. Une grande partie du problème est que le pays fait des scores très bas en matière de liberté économique, ce qui signifie habituellement une réglementation excessive. Si l'Arménie n'avait pas une économie de marché véritablement libre, comment pourrait-elle se développer ?" déclare-t-il.
"Trop de jeunes Arméniens votent avec leurs pieds et quittent le pays. La population actuelle n'est que de trois millions, comparés aux huit millions de la diaspora. Il faut inverser la situation, si l'on veut que le pays s'en sorte."
Hagopian pense que les Arméniens ont un talent inné
"Nous sommes des travailleurs ; nous avons en commun le goût du rude labeur et de l'entreprise; et puis nous avons confiance en nous, nous ne nous laissons pas abattre. Cela vient peut-être de notre histoire. Nous avons tous l'impression d'être seuls au monde et nous devons nous tirer d'affaire. On n'a pas envie de déléguer."
Pense-t-il faire bénéficier le gouvernement arménien de ses compétences en affaires ? Après tout, il est maintenant presque à la retraite et dispose de temps. Il sourit. "Non. Ils ont besoin de vrais économistes. Il y a plein de grands économistes là-bas, j'en connais, je pourrais leur être utile. Mais je ne serais pas la bonne personne. Il faut savoir reconnaître ses limites !"
Cette histoire a été authentifiée par l'équipe de chercheurs de 100 LIVES.