Même si la famille Bogosian garde le silence sur le passé, les événements de 1915-1923 ont évidemment eu un impact sur Eric, qui ne cache pas sa fascination pour les enquêtes de détective et l'élucidation des mystères.
Acteur et artiste de renommée internationale, Eric Bogosian est peut-être le plus connu pour son interprétation récurrente du capitaine Daniel Ross dans la série policière télévisée à succès "Law and Order" [New York, section criminelle]. Il est l'auteur de six pièces de théâtre et s'est produit dans plusieurs de ses pièces, dont Talk Radio et subUrbia. Né à Boston, il a grandi à Woburn, dans le Massachusetts, où il a achevé ses études secondaires avant de partir dans l'Ohio où il a fréquenté l'Oberlin College.
Dès son installation à New York, il décroche un emploi à The Kitchen dans le quartier branché de SoHo, où il fait la connaissance de nombreux artistes visuels, compositeurs et chorégraphes qui influencent sa pensée. Il réalise bientôt ses propres "pièces" au croisement de l'art de la performance et de l'univers théâtral. Joe Papp le découvre en 1982 et commence à produire son travail au Public Theater. En 1987 il écrit et se produit au Public dans la pièce Talk Radio, où Papp le présente au producteur Ed Pressman, qui invite Oliver Stone à être de la partie.
Eric est marié à la metteure en scène Jo Bonney depuis 35 ans. Ils vivent à New York avec leurs deux enfants.
Crédit photo : Avec l'aimable autorisation d'Eric Bogosian
Bogosian mène une existence sans contraintes en s'impliquant énormément dans son travail. « Je joue souvent au Texas hold'em (variante du poker). Je lis et passe beaucoup de temps dans le nord du New Jersey, où je possède une maison. Avant la parution d'Operation Nemesis au printemps dernier, je dirai que ma principale réalisation en tant qu'artiste était mon œuvre théâtrale ».
Operation Nemesis raconte l'histoire d'un groupe d'Arméniens qui réussirent à localiser et à liquider la plupart des dirigeants Jeunes-Turcs responsables du génocide, au cours duquel un million et demi des leurs furent exterminés dans l’Empire ottoman. Après la défaite des Ottomans durant la Première Guerre mondiale, ces dirigeants du Comité Jeune-Turc Union et Progrès (CUP) furent condamnés à mort lors d'un procès à Constantinople. Mais, pour éviter leur exécution, ils parvinrent à s'enfuir en Allemagne, en Russie et ailleurs. Les Arméniens qui complotèrent la revanche baptisèrent leur opération "Némésis" du nom de l'ancienne déesse grecque de la Vengeance. Signe fort, un tribunal allemand acquitta par la suite Soghomon Tehlirian, qui avait exécuté en plein centre de Berlin Talaat Pacha, le ministre ottoman de l'Intérieur et l'un des principaux cerveaux du génocide.
Les grands-parents de Bogosian ont survécu au génocide.
"Je suis conscient de l'existence de "sauveurs," comme on les appelle, dans ma famille. Mes deux grands-pères étaient diacres dans l'Église arménienne. Mon grand-père Méguerditch échappa au génocide, mais j'ignore comment. Il sauva aussi sa mère, après que son père ait été tué. Elle vécut avec lui le reste de son existence à Watertown, au Massachusetts. Elle ne parlait pas l'anglais. Je sais seulement que mon grand-père a transité par Le Havre pour se rendre aux États-Unis en 1915. Je pense qu'il a voyagé en paquebot avec sa mère. Ils étaient de Kharpert (actuellement Elazığ à l'est de la Turquie). À peine établi à Watertown, il fut immédiatement enrôlé dans l'armée américaine, mais je pense qu'il avait uniquement pris part à des exercices d’entraînement. Après la guerre, il trouva un emploi dans le secteur des transports à Boston."
Comme dans beaucoup d'autres familles arméniennes, on ne parlait que rarement de cet événement chez les Bogosian
"En général, ma famille ne parle pas du génocide, ni de ce qui s'est passé en Turquie. Ils jugeaient cela négatif. Et même si mon anniversaire tombe le 24 avril (jour de commémoration du génocide arménien, date à laquelle plusieurs centaines d'intellectuels et notables arméniens furent raflés par les Ottomans, puis liquidés ou envoyés dans des marches de mort vers les déserts de Syrie), l'événement n'est jamais vraiment évoqué à la maison. Jamais on ne m'a dit que c'était un jour à part. Quand je suis devenu acteur, je n'avais pas envie que mon identité arménienne me définisse ni être considéré comme un « acteur ethnique ».
Cela n’a toutefois pas empêché Eric de prendre connaissance des événements tragiques qui ont changé le destin de ses ancêtres. " Sans doute dès l’âge de quatre ans, j'ai découvert très jeune ce qu'avait vécu Méguerditch en Turquie. Durant toute ma vie, je me suis penché sur la question du génocide arménien. Question que j’ai approfondie au cours de ces dix dernières années... Malheureusement, nous ne possédons aucun objet ou souvenir de Kharpert, notre ville d'origine dans le Vieux pays."
Même si la famille Bogosian garde le silence sur le passé, les événements de 1915-1923 ont évidemment eu un impact sur Eric, qui ne fait pas mystère de son attirance pour le travail de détective et l'élucidation des mystères. "Naturellement, l'histoire de ma famille vis-à-vis du génocide arménien a suscité mon intérêt. Ce qui à l’évidence a orienté mon travail ces dix dernières années, dont Operation Nemesis est le résultat. C’est un condensé de ce que j’ai appris…. Je suis fasciné par le mystère qui se dissimule et j’aime résoudre des énigmes. Mon travail de détective dans New York, section criminelle est en lien avec ce qui s'est produit par le passé."
Cette histoire a été authentifiée par l’équipe de chercheurs de 100 LIVES.