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Entretien avec le Primat de l'Eglise arménienne d'Argentine

Entretien avec le Primat de l'Eglise arménienne d'Argentine

Lors de la célébration de la " Sainte Messe pour les fidèles du rite arménien," tenue à Rome le 12 avril, le Pape François a employé le mot "génocide" pour évoquer les massacres des Arméniens perpétrés dans l'Empire ottoman au début du 20ème siècle. Un grand nombre de fidèles venus du monde entier s'étaient rendus à Rome pour participer à la cérémonie. Parmi eux se trouvait Monseigneur Kissag Mouradian, Primat de l'Eglise apostolique arménienne d'Argentine et du Chili.

S'adressant à 100 LIVES peu après son retour de Rome, le prélat commente la sainte Messe: "C'est une grande satisfaction pour le peuple arménien, et en particulier pour ceux qui étaient présents à Rome, d'entendre le Saint Père, chef de l'Eglise catholique romaine, déclarer qu'un Etat doit reconnaître son crime et accepter qu'il s'agit du premier génocide du 20ème siècle." Le prélat pense aussi que "le Pape a agit en vrai chrétien, car, comme il l'a déclaré, 'un chrétien ne peut être un menteur' et il a honoré ces paroles en abordant le génocide arménien."

D'après Monseigneur Kissag Mouradian, le Souverain Pontife a toujours eu la même opinion sur le génocide : "Lorsqu'il était cardinal, il a évoqué à plusieurs reprises le génocide lors des messes de Requiem dans la cathédrale métropolitaine de Buenos Aires. Dès le début, il a demandé à l'Etat turc de reconnaître son crime pour le bien-être des deux peuples et pour la paix. Nous avons subi les conséquences du génocide et ses conséquences et eux souffrent des conséquences de l'histoire et de la condamnation. La différence est que, lorsqu'il était cardinal ici, il n'était que simple cardinal. Maintenant il est le Pape François, sa parole est autre."

Suite aux déclarations du Pape François, le président de la République de Turquie, Recep Tayyip Erdogan, a condamné les paroles du Souverain Pontife, tandis que d'autres responsables turcs ont évoqué négativement la patrie du pape, l'Argentine. Mouradian juge leur réaction sans surprise : "Je pense que c'est tout naturel. Ils vont essayer de nier et d'exprimer le contraire de ce que nous ressentons et faisons. Je dis toujours que nier c'est aussi affirmer... Or la question essentielle est : où vivaient ces gens ? Ils sont morts et ont été massacrés dans leur propre pays. Nous ne sommes pas motivés par la vengeance, ce que nous voulons c'est la justice."

Kissag Mouradian et François Ier sont amis de longue date. Leur amitié a débuté à l'époque où François était Jorge Mario Bergoglio, évêque auxiliaire du cardinal Antonio Quarracino : "Nous avons commencé à travailler ensemble lors d'un office religieux œcuménique et nous avons partagé de nombreuses expériences; voilà comment notre amitié a débuté," se souvient Mouradian, avec un sourire. "Personnellement, je pense que notre amitié s'est renforcée, quand il m'a appelé lui-même pour me joindre à lui lors des offices religieux pour les victimes de Cromañón [Note de l'E. : référence aux 194 jeunes gens victimes d'un incendie lors d'un concert rock dans la discothèque "República  Cromañón", le 30 décembre 2004]. Je me souviens qu'il avait dû appeler d'autres archevêques aussi, mais il n'a invité que moi. Un moment très intense et douloureux."

Kissag Mouradian et François Ier ont procédé ensemble à la consécration et à la bénédiction de l'autel Saint-Thaddée dans la basilique de Notre-Dame-de-la-Miséricorde et de l'autel dans l'église de Saint-Bartholomée, car ces deux apôtres ont voyagé en Arménie.

Leur amitié compte aussi quelques histoires drôles. "Quand Bergoglio fut élu cardinal, l'archevêché arménien donna un dîner en son honneur. En liaison avec cet événement, un député lui a demandé : "Mais, Monseigneur, vous ne quittez jamais votre maison après 8 heures du soir, comment allez-vous vous rendre à ce dîner ?" A quoi il a répondu : 'Je ne peux rien refuser à l'archevêché arménien !'", rappelle Mouradian, en souriant.

Pour le 95ème anniversaire du génocide en 2010, un "khatchkar" (la pierre-croix typiquement arménienne) fut installé dans la cathédrale métropolitaine de Buenos Aires en mémoire des martyrs. "Le khatchkar fut placé là à la demande expresse de François," précise Mouradian.

Le Primat de l'Eglise arménienne a rencontré le Pape à Rome à trois occasions : la première avec la communauté de Sant'Egidio, puis avec Vehapar [Sa Majesté] Karékine II, Catholicos de Tous les Arméniens, et enfin dimanche dernier pour la Sainte messe dédiée au Centenaire du génocide. "J'espère que la prochaine fois nous nous rencontrerons en Arménie, pour que nous puissions y être réunis," ajoute le prélat.

Mardi 14 avril, la présidente argentine Cristina Fernández de Kirchner a reçu une délégation de la communauté arménienne d'Argentine, dirigée par Monseigneur Mouradian, et a exprimé sa solidarité avec le peuple arménien pour le centenaire du génocide. Concernant cette rencontre, Mouradian précise que la chef de l'Etat leur a réservé un accueil chaleureux et "a été très émue quand nous lui avons appris qu'une plaque commémorative portant le nom de l'ancien président Néstor Kirchner sera apposée en Arménie, pour avoir promulgué la loi nationale n° 26.199, laquelle reconnaît le génocide et déclare le 24 avril "jour d'action pour la tolérance et le respect entre les peuples."" Monseigneur Mouradian espère que la présidente argentine se rendra en Arménie pour le centenaire.