Greg Sarkissian

Greg Sarkissian

« Tu ne peux être libre que lorsque tu sais qui tu es et que tu connais ton histoire. Ce n’est que quand tu te trouves que tu peux trouver la paix »

Voici une maxime aussi limpide que le soleil hivernal qui entre à flots par la fenêtre de son bureau à Toronto. Elle lui a été utile, comme au peuple de l’Arménie. Un jour, bientôt, il espère qu’elle fera de même pour le peuple de Turquie.

Sarkissian est le cofondateur d’un des plus grands centres internationaux dédiés à la recherche sur les génocides. Bien que l’Institut Zoryan, basé à Toronto, ait été créé en 1982, il rassemble la collection la plus vaste d’histoire orale des survivants du génocide arménien. L’Institut a aussi publié quatre ouvrages, qui se fondent sur des sources turques et allemandes originales.

"Je veux utiliser la recherche universitaire pour montrer au monde ce qui s'est passé "

" Et permettre aux Arméniens et aux Turcs d'assumer le passé grâce à une histoire partagée et de se réconcilier"

L’existence et la façon de penser de Sarkissian ont changé du tout au tout en 1967, quand il quitta Beyrouth, sa ville natale, la première fois, pour étudier en Amérique. Il réalisa que si les Américains peuvent faire remonter leurs racines à la Guerre d’Indépendance, « je ne connaissais même pas le nom du père et de la mère de mon père. Alors que l’arménien était la langue parlée à la maison, mes ancêtres avaient vécu, depuis plus de mille ans, en Cilicie au sud-est de la Turquie actuelle. Ça m’a fait penser : qui suis-je ? Comment suis-je devenu qui je suis ? »

Partir en quête de son identité devint l’aventure de sa vie. Il découvrit que la famille de sa mère avait survécu comme des Anne Frank arméniens, alors que celle de son père avait été anéantie. « Le mari de ma grand-mère, Krikor, avait un associé nommé Haji Khalil. Lorsque le génocide débuta en 1915, Krikor fut pendu devant sa famille.

Khalil, un Turc musulman vertueux, avait promis de protéger ma famille, quel qu’en soit le coût. Il prit d’énormes risques pour sauver ma grand-mère et six autres membres de la famille. » 

Deux enfants de la famille moururent durant leurs neuf mois de clandestinité. Khalil avait si peur d’être pris en train d’abriter des Arméniens qu’il enterra les deux bébés la nuit. Il réussit finalement, on ne sait comment, à embarquer la famille sur un train pour Alep, en Syrie, où vivait le dernier frère de Krikor, Gevorg.

La découverte par Sarkissian du rôle de Khalil l’incita à fonder conjointement l’Institut Zoryan, qu’il finança grâce à des entreprises qu’il avait créées à Toronto, où il s’installa en 1986. Sarkissian raconta l’histoire de sa famille lors du premier colloque de l’Institut à Erevan, après que l’Arménie se soit séparée de l’Union Soviétique.

“Je pensais que c’était l’endroit idéal pour parler d'humanité"

 
"et utiliser l’exemple d’hommes comme Khalil pour tendre la main au peuple turc, en lui disant : « à un moment donné, des tyrans, des monstres se sont emparés de ton pays et ont perpétré ce génocide, mais il y a eu aussi des gens comme Khalil. »"

Le discours opéra mieux qu’il ne n’aurait jamais imaginé. « Quand je suis descendu de la tribune, ce type s’est approché, il sanglotait, il m’a serré dans ses bras. C’était un Turc, il s’appelait Taner Akçam, un descendant d’un des écrivains les plus respectés en Turquie. Il était très ému par ce que j’avais dit. »

Un évènement plus émouvant encore se produisit le lendemain. « Nous nous rendions à une église pour la commémoration des victimes du génocide. J’ai pris la main de Taner et nous avons acheté des bougies. Je lui ai dit : « Je veux que tu allumes cette bougie en souvenir de mon grand-père et je veux allumer celle-ci en souvenir de Haji Khalil, car ces deux personnes sont unies ». Nous nous sommes embrassés en nous promettant de nous engager à mettre au jour notre histoire partagée, susciter un dialogue qui puisse changer les cœurs et les esprits de nos deux peuples. »

Le mouvement déclare : « Nos ennemis ont essayé de nous tuer, mais ils n’ont pas réussi. Non seulement grâce à notre débrouillardise et notre détermination, mais aussi grâce à quelques Justes à travers le monde, qui vinrent à notre aide. Lorsque des gens risquent leur vie pour en sauver d’autres, nous devons les célébrer. »

"Quand une personne risque sa vie pour en sauver d'autres, nous devons la célébrer"

Il joint l’acte à la parole. Il est le plus important contributeur au plan financier des projets de l’Institut Zoryan, qui comprennent notamment le séminaire d’été à Toronto, où des étudiants de Turquie sont invités à étudier le génocide arménien aux côtés d’Arméniens. L’Institut paie leurs frais de scolarité, leur voyage et les frais d’hébergement. Onze étudiants turcs, qui ont suivi ces cours, ont choisi de faire leur thèse sur des thèmes liés au génocide arménien.

Sarkissian est convaincu que, grâce à l’œuvre de l’Institut Zoryan et à des mouvements tels que 100 Lives, la vérité et la réconciliation viendront. « La vérité éclatera et alors les Arméniens comme les Turcs seront libres de regarder de l’avant. Nous n’avons pas le choix. Géographiquement, nous sommes voisins. Nous devons trouver le moyen de vivre ensemble. Cent ans après le génocide, c’est le moment idéal pour commencer. »

Cette histoire a fait l’objet d’une vérification par l’équipe de chercheurs de 100 Lives.