Des histoires que nous ne pouvons pas ignorer
Esclavage sexuel. Famine. Travail des enfants. Rukmini Callimachi, correspondante du New York Times, a couvert les pires atrocités commise par un être humain. Elle s’est rendue dans les zones de conflit les plus risquées, auprès des sociétés les plus défavorisées de la planète afin de mettre sous les projecteurs la plus imprescriptible des souffrances humaines.
Les enquêtes inlassables de Mme Callimachi ont révélé de dures réalités qui devaient être dites. Son article d’investigation intitulé « Daech prône une théologie du viol »livre un aperçu inédit sur l’effrayante façon dont cette organisation institutionnalise l’esclavage sexuel. Pour la première fois, cette enquête a montré à quel point l’abus sexuel est ancré dans l’idéologie de Daech. Callimachi a interrogé 21 victimes, passé au crible les communiqués officiels de l’État islamique et examiné des rapports de Human Rights Watch et Amnesty International pour écrire cet article, faisant entendre la voix des victimes réduits au silence.
De son aveu, le travail des journalistes encourt des risques plus élevés que jamais. . « Comme la décapitation du journaliste James Foley l’a montré, des groupes comme l'État islamique considèrent maintenant les journalistes « combattants ennemis », car ils sont coupables de rapporter des faits qui ne sont pas favorables à leur vision du monde », explique Callimachi. À présent, dit-elle, « les journalistes font face aux mêmes risques que les soldats : mous sommes désignés comme ennemis et à ce titre considérés comme des cibles légitimes. »
Et pourtant, Callimachi s’est maintes fois aventurée en territoire hostile. Que ce soit pour fouiller dans des classeurs verrouillés, mettre la main sur des lettres écrites par le présumé directeur général d’al-Qaïda au Mali, ou encore passer des semaines à accompagner les familles des disparus, à exhumer des corps dans le désert où chaque coup de sa pelle servait de rappel douloureux des vies perdues arabes et touarègues tués par les troupes maliennes. Aucune mission n'a été pour elle assez dangereuse ou hors de sa portée.
Déterrer les morts n'a pas effrayé Callimachi, ni son expérience d’unique journaliste témoin d’un massacre commis par les forces gouvernementales de Côte-d'Ivoire, il y a plusieurs années. Après avoir appris de la bouche des survivants où les massacres avaient eu lieu, elle a remonté la trace, étape par étape jusqu’à parvenir à une clairière où gisaient les corps.
Sa technique narrative, qui consiste à parler du point de vue de la victime, fait revivre d’âpres réalités. Elle a ainsi interviewé des centaines d'enfants en Afrique de l'Ouest, les suivant au quotidien, pour pouvoir raconter dans tous les détails le récit de leur exploitation. Son travail a révélé comment les enfants sont pris au piège au Sénégal par les écoles islamiques et contraints à la mendicité moyennant des fausses promesses d’éducation. Elle a notamment démontré le lien existant entre le travail des enfants dans les mines d'or au Sénégal et les banques en Suisse, ainsi que la traite des enfants de l'Afrique vers les États-Unis
Elle dénonce ces violations des droits de l'Homme avec l'espoir de déclencher un changement. Son témoignage visuel des corps déterrés au Mali a contraint le gouvernement à lancer une enquête sur les circonstances de leur mort. Et en Côte-d'Ivoire, les avocats qui travaillent en collaboration avec la Cour pénale internationale se sont servi de ses témoignages pour leur dossier.
C’est ce qui nourrit son espoir en l’avenir : « Le journalisme est comme une torche qui répand un faisceau lumineux sur une question, un crime, un abus ou une atrocité commis par un gouvernement », dit-elle. Et d’ajouter : « j’espère que mon travail pourra éclairer les recoins les plus sombres de la planète. Je suis humblement très honorée de recevoir ce prix et j’espère que d’une certaine manière, mon travail a contribué à éclairer des recoins les plus sombres du monde ».