Paolo Petrocelli. Répandre la solidarité à travers la musique

Paolo Petrocelli. Répandre la solidarité à travers la musique

À l'invitation de l'Initiative Humanitaire Aurora, l'entrepreneur culturel et musicien Paolo Petrocelli s’est rendu en Arménie en décembre 2016. Paolo Petrocelli est animé par la conviction que l’art et l'éducation artistique constituent dans le monde une force majeure pour la croissance, le développement et le changement. En 2013, Paolo a fondé l'Académie de musique euro-méditerranéenne pour la paix (EMMA), une organisation qui promeut la paix par la diplomatie musicale et l'éducation. Il exerce les fonctions d'agent de diplomatie culturelle et musicale au Secrétariat permanent du Sommet mondial des lauréats du prix Nobel de la paix et est le co-fondateur et président du Comité de la jeunesse de la Commission nationale italienne pour l'UNESCO. Dans une interview accordée au site du Prix Aurora, le musicien évoque le pouvoir de la musique, de la consolidation de la paix et de sa confiance en la génération qui vient.

S.K. : Comment êtes-vous venu à la décision qu’étant un musicien, votre place est également au-delà de l'art, dans ce que vous appelez la diplomatie musicale ?

P.P. : J'ai commencé à jouer du violon quand j'étais très jeune, cela est venu très naturellement. Je n'ai pas été contraint par mes parents. J'ai juste continué à suivre ma grande passion pour la musique sur d’autres terrains. J'ai commencé à jouer du violon puis j’ai opté pour la musicologie parce que j'étais très curieux de mieux comprendre ce que je jouais, quel était le sens de la musique. Puis j'ai réalisé que j'étais très attiré par la direction, l’aspect organisationnel de l'industrie musical. Je me suis donc réorienté vers la carrière de directeur. Je travaille toujours dans la gestion musicale en collaboration avec les orchestres, les opéras et les agences.

J’étais stimulé à l’idée de jouer un modeste rôle au sein de ma communauté et en Italie parce que j’ai remarqué que les gens comme moi qui optent pour la musique ou l’art comme raison d’être sont bien plus impliqués dans le développement de leurs communautés locales. J’ai voulu soutenir ma communauté et aussi faire entendre ma voix dans un contexte institutionnalisé en collaborant avec des organisations nationales et internationales comme l’UNESCO, l’ONU et le Forum Economique Mondial. C’était très intéressant de constater l’interaction entre ma vision et les idées portées par d’autres collègues de ma génération. Dès lors, j’ai commencé à me rendre compte que cela pouvait transformer une partie de mon travail dans ce type d’activité institutionnelle. J’ai aussi commencé à comprendre que la musique et la culture ont un potentiel étonnant qui peut avoir un impact considérable dans nos communautés de diverses façons. Je souhaiterais attirer votre attention sur la diplomatie culturelle et de la diplomatie musicale. L’idée qu’il y a derrière est très simple : il est question d’utiliser la musique comme un langage universel afin d’interagir avec différents cultures et pays. J’ai donc réuni autour de cette idée l’énergie et le dévouement de nombreux artistes et de nombreuses organisations. Nous avons ainsi en 2013 mis en œuvre ce projet qui est le Sommet Mondial des Lauréats du Prix Nobel.

Paolo Petrocelli donnant une conférence au Centre TUMO pour les technologies créatrices.

SK : Est-ce que la musique et la diplomatie sont synonymes ? Font-elles partie d’une réalité commune ? Comment les reliez-vous entre elles ?

P.P. : En tant que concept, la diplomatie musicale est un phénomène relativement récent. Il n’existe pas d’organisations à proprement dit qui font la promotion de la diplomatie musicale de façon structurée. Cependant, nous avons effectivement déjà expérimenté l’aspect diplomatique de la musique depuis probablement le XVe siècle qui marque les premiers pas de la musique dans le sens européen et occidental. La musique a le pouvoir à dépasser les différentes barrières culturelles et linguistiques ; les musiciens ont conscience de ce pouvoir dès leur plus jeune âge. Donc, lorsque vous entrez dans un orchestre, vous faites l'expérience de la diplomatie musicale, il est évitent que vous vous prenez place dans une salle avec d'autres musiciens venus de différentes régions du monde, de religions différentes, de valeurs politiques différentes, etc. Les diversités n’ont aucune signification pour nous.

L'idée qu’il faut retenir à propos de la diplomatie musicale, est de savoir comment l’utiliser pour diffuser des idées telles l'harmonie ou de solidarité à travers le monde. De nombreuses organisations ont lancé différents types d'initiatives qui ont utilisé ce concept d'éducation musicale comme un véritable accélérateur non seulement pour éduquer les jeunes, mais aussi pour utiliser la musique et l'éducation musicale comme un moyen de détruire certaines barrières et certains conflits culturels. Cela est très courant au Moyen-Orient, vous y trouverez de nombreux projets qui fonctionnent très bien.

S.K. : Vous avez mentionné le Moyen-Orient et l’organisation EMMA que vous avez fondé est présente au Moyen-Orient, une des régions les plus turbulentes du monde à l’heure actuelle. Comment travaillez-vous et quels sont les défis dont vous faites face ?

P.P. : Quand j’ai commencé ce projet, je savais que j’allais faire face à bien des défis sur place et ce pour de nombreuses raisons. Toujours est-il que j’ai été très surpris, je ne m’attendais pas à un tel fossé, non seulement entre certains pays et certaines communautés de ces pays mais aussi parmi des gens très cultivés. Je veux parler de musiciens qui sont censés avoir une grande ouverture d'esprit parce qu'ils voyagent beaucoup et ont l’habitude d’interagir avec d’autres artistes. C’est le cas par exemple des musiciens du Liban ou d'Egypte qui n'étaient pas habitués à collaborer avec des musiciens européens. La première idée était de susciter des occasions d'interagir, de travailler ensemble. Les résultats ont été étonnants.

Il s’est avéré qu’à travers ce type de collaboration, il est plus aisé de communiquer divers types de messages au Moyen-Orient. Cela ne consiste pas uniquement à envoyer un musicien européen sur place, mais aussi organiser un concert (ce qui est à présent une chose courante). Il s’agit là d’un processus. Pour réaliser un concert ou un atelier ensemble, nous devons interagir et nous connaître mutuellement, passer du temps ensemble et comprendre comment nous pouvons collaborer. La diplomatie de la musique, c'est aussi un processus : il ne s'agit pas de jouer de la musique ou d'enseigner de la musique.

S.K. : … et promouvoir la paix.

P.P. : Tout à fait. C’est le but définitif. La paix est un mot tellement puissant. Quand j'ai commencé le projet, j'ai réfléchi à la pertinence de l’ajouter ou non, puis d'interagir et de parler avec d'autres collègues. Nous avons décidé de l'appeler EMMA pour la paix parce que tout ce que nous faisons sert en définitive à promouvoir la paix et l'harmonie dans ces pays, ce qui est très ambitieux en soi.

Bien sûr, nous savons que nous n’avons qu’un très faible impact, mais il est important de le faire de toute façon. Il est important de rappeler à ces artistes qu'ils ont le devoir de faire quelque chose pour les communautés. Parce que vous êtes doté de ce talent, vous devez utiliser une partie de celui-ci pour le bénéfice de ces communautés.

Paolo Petrocelli 

S.K. : L'état de paix ne s'améliore pas dans le monde. Cela ne vous déçoit-il pas ? Comment obtenez-vous l'inspiration pour mener à bien votre tâche ?

P.P. : Surtout que ma génération (j'ai 32 ans) est confrontée à un choix qui nous invite à faire tout ce qui est notre pouvoir pour sauver ce monde dans tous les domaines.  Je ne suis ni un politicien, ni un diplomate. Je n'ai pas l'ambition d'utiliser mes connaissances, mes compétences pour me hisser à ce niveau. Je me sens tout simplement responsable de pouvoir modestement y contribuer.  Cela me donne beaucoup de force. Je pense qu'il est très important que notre organisation (S.K. - EMMA) et la vôtre (S.K. - Initiative Humanitaire Aurora) nous nous engagions à répandre de plus en plus l'auto-responsabilité auprès des jeunes générations. Sinon, au cours des 10 à 20 prochaines années, nous courrons le risque de perdre le contrôle de cette situation aussi du point de vue culturel.

S.K.: Comment vos activités contribuent à l’effort humanitaire dans le monde ?
 
P.P : Ce que nous essayons de mettre en œuvre n'est pas seulement de faire de la musique pour elle-même. Chaque fois que nous organisons un atelier ou un concert, nous essayons d'impliquer des organisations comme la vôtre. De créer une nouvelle et unique forme d'interaction entre le monde de la musique et le travail humanitaire. Nous faisons cela avec l'UNICEF avec le HCR. Nous ne sommes pas assez arrogants pour prétendre stopper la trajectoire d’une balle avec un violon ou que le simple fait d’amener des instruments de musique à Alep ramènera la paix. Mais nous avons fait quelque chose d'inhabituel en Italie, une performance d'opéra il y a 2 ans avec l'UNICEF. Nous avons informé l'auditoire de la situation en Syrie en profitant de la présence de milliers de personnes et en leur rappelant qu'il y a beaucoup de problèmes.

S.K.: Vous avez récemment visité l'Azerbaïdjan et vous vous trouvez actuellement en Arménie. Comme vous le savez, ces deux pays vivent une situation de « ni guerre ni paix ».  Avez-vous songé à amener la diplomatie musicale dans cette région aussi ?

P.P. : Oui et je pense que ce sera extrêmement significatif. Je m’attelle à ce projet et suis en contact avec des artistes d'Arménie. Nous avons déjà organisé un concert en Azerbaïdjan. De mon point de vue, ces projets sont relativement faciles à réaliser. Quand je parle avec des musiciens, et des organisations culturelles de ces pays, tout le monde réagit de manière positive. La volonté de faire ces projets est bien présente. Ils sont tous conscients du potentiel qu'ils ont entre leurs mains et de l’impact positif qu’ils peuvent avoir dans leur propre pays. Je suis tout à fait convaincu que très bientôt nous pourrions également démarrer quelques initiatives ici.

S.K.: Vous enseignez dans différentes écoles du monde, vous avez rencontré des enfants arméniens à TUMO. Faites-vous confiance à la prochaine génération ?
 
P.P.: Absolument. Chaque fois que je démarre un nouveau MASTER avec une nouvelle promotion à l'université, la première chose que je fais c’est de leur tenir un propos qui peut les choquer, de leur parler de choses qui me paraissent fondamentales. Je pense que notre génération a peur de l'avenir, dans beaucoup de choses. Ils perdent le courage, ils perdent l'ambition positive de faire une différence dans le monde, à présent l’unique préoccupation est de trouver un emploi. Je pense que la liste de priorités que nous avons à l'esprit est un peu erronée. Il est triste de voir des filles et des garçons de 20 ans sans flamme. Ce que j'essaie de faire est de les aider à trouver confiance en eux-mêmes parce que nous avons besoin de ce genre d'incendie dans la société. Nous manquons de ce feu, de ce courage qui, en fait, chacun de nous peut se distinguer.