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Les enfants de la rébellion

Les enfants de la rébellion

La Sierra Leone a obtenu son indépendance du Royaume-Uni en 1961 et adopte la république comme forme de régime dix ans plus tard. Une sanglante guerre civile frappa ce pays d'Afrique de l'Ouest en 1991, lorsque le Revolutionary United Front (RUF) [Front Révolutionnaire Uni], soutenu par le National Patriotic Front of Liberia (NPFL) [Front National Patriotique du Libéria] de Charles Taylor, tenta de renverser le gouvernement de Joseph Momoh. Lorsque ce conflit, qui aurait fait plus de 50 000 victimes, prit fin 11 ans plus tard, un tribunal international fut mis en place afin de poursuivre les auteurs de crimes de guerre perpétrés des deux côtés.  

Cette guerre ouvrit la voie à d'innombrables crimes contre l'humanité et autres violations des droits de l'homme : violences, mutilations, viols et esclavage des enfants. Or Edmund Kaszibuloh Koroma, natif de Sierra Leone, a montré à des milliers de gens que tendre la main à ceux qui sont dans le besoin pouvait sauver et changer des vies.

Avant le début du conflit, Edmund enseignait dans des écoles du pays et dirigeait la communauté catholique de Makeni. "Cette cause a longtemps été mon rêve. Avec des collègues, nous avons créé une organisation communautaire intitulée Working for Peace, pour que les jeunes prennent conscience, participent et contribuent aux programmes de développement dans leurs communautés," précise Edmund. Koroma a aussi travaillé avec des élèves prédisposés à la violence et pris part à la création de l'Association des Jeunes Catholiques [Catholic Young Men Association].

Enfances volées

Durant la guerre, les rebelles recrutèrent par la force des milliers d'enfants. Les filles étaient obligées d'épouser des commandants rebelles ou d'autres combattants, et beaucoup devinrent des esclaves sexuelles. Témoin de ces atrocités, Koroma ne put rester bras croisés. Il ouvrit une école et un centre d'accueil provisoire dans la ville de Makeni, située dans un territoire contrôlé par les rebelles.

Durant une période relativement calme, il convainquit les forces rebelles de permettre aux enfants d'aller à l'école et d'y vivre.

Edmund Koroma

"L'école fut créée pour aider d'anciens enfants-soldats, dont l'éducation avait été torpillée et qui étaient négligés par les ONG qui ne sont actives qu'en temps de paix. Ils ne faisaient l'objet d'aucun suivi et beaucoup d'enfants se retrouvaient à la rue. En tant qu'organisation, nous avons pris de grands risques pour les protéger," poursuit Edmund.  

En 2000, cette période de calme prit fin et le RUF recruta à nouveau des enfants afin de renforcer ses troupes. Les gamins qui avaient repris leurs études allaient être renvoyés sur le champ de bataille. Conscient de cette situation, Koroma en arriva à la conclusion que le seul moyen d'assurer la sécurité des enfants était de les évacuer du territoire contrôlé par les rebelles.

Au péril de sa vie, il défia les forces rebelles en emmenant leurs "soldats" et leurs "femmes" vers un secteur sous contrôle gouvernemental.

L'odyssée débuta aux premières heures du matin. Les enfants partirent dans le calme pour un voyage long de cinq jours en direction de Freetown, la capitale du pays, contrôlée par le gouvernement. Beaucoup étaient nu-pieds, ils se cachèrent dans la jungle durant des jours pour éviter d'être repérés par les forces rebelles. Finalement, ils croisèrent un groupe de rebelles qui leur volèrent le peu qu'ils avaient, menaçant d'enlever les 17 garçons les plus robustes. Ceux qui ne coopéreraient pas seraient tués.

Edmund Koroma

Tenu en joue, Koroma tenta de négocier. Après des heures d'une tension croissante, il réussit à convaincre les rebelles de relâcher le groupe, à condition que les rebelles gardent un gamin de 15 ans qui avait déjà passé plusieurs années dans leurs troupes.

De nombreux pleurs furent versés lorsque les gamins se séparèrent, mais le reste du groupe parvint finalement sain et sauf à Freetown.

Un enseignement qui change la donne

Après la guerre, Edmund continua de travailler avec d'anciens enfants-soldats. Beaucoup étaient devenus orphelins du fait du conflit, d'autres souffraient du syndrome de stress post-traumatique, certains avaient été chassés de leurs communautés et ostracisés par leurs familles et voisins, notamment les filles et les jeunes femmes. Nombre d'entre elles avaient été violées et donné naissance à des enfants ; elles furent embrigadées dans les rangs rebelles. « souillées » par les rebelles, elles n'étaient donc plus les bienvenues dans la société conservatrice de la Sierra Leone, perçues comme inaptes au mariage.

Edmund Koroma

Koroma a fondé l'école Tan Sri Alagendra à Makeni pour apprendre à ces enfants à marcher dans le droit chemin, malgré le traumatisme qu'ils ont vécu. À l'époque de sa création, l'école comptait 86 anciens enfants-soldats et sept victimes de la polio. Aujourd'hui, ils sont plus de 157 élèves et 12 enseignants bénévoles.

Son désintéressement a fait d'Edmund Koroma l'ange gardien d'un grand nombre d'enfants au Sierra Leone. "J'ignore pourquoi je fais tout ça. J'ai grandi avec et je le fais sans vraiment réaliser, ça vient naturellement. Dans le cadre de ma contribution au bien commun et à ma société, je suis heureux de défendre cette cause," explique Edmund.

Treize ans après la fin de la guerre, les enfants ont grandi et connaissent maintenant une vie meilleure. Certains enseignent à l'école, d'autres exercent dans le commerce et beaucoup travaillent avec des associations.

Paradoxalement, de nombreux anciens rebelles du RUF sont eux aussi à l'école aujourd'hui, éduqués par les enfants auxquels ils commandaient autrefois.

"La population civile a besoin d'éducation pour pardonner à ces gens-là et le fait d'employer ceux qui sont dans le besoin, en particulier les victimes, peut être très utile," estime Koroma.