Tout petit, Sarukhan apprit la fuite de sa grand-mère rescapée du génocide arménien. La découverte qu'il descendait d'une survivante du génocide "a joué un rôle clé dans ma décision d'intégrer la fonction publique et la diplomatie, en particulier," précise Arturo.
Né à Mexico en 1963, Sarukhan est un descendant de réfugiés de conflits des deux côtés de sa famille - une réalité qui a grandement influencé, rappelle-t-il, sa décision de devenir diplomate. Les parents de sa mère étaient des républicains catalans qui ont fui la défaite de la République espagnole face aux nationalistes à la fin de la guerre civile espagnole en 1939. Son grand-père paternel, Artur Sarukhanian, était un Arménien sujet de l'empire russe. Il avait travaillé pour le chef du gouvernement provisoire russe, Alexandre Kerenski, suite à la révolution de février 1917. Sarukhanian fuit la Russie après l'arrivée au pouvoir des bolcheviks en octobre de la même année.
Arrivé tout d'abord à Venise, où il fit sa scolarité au couvent arménien de Saint Lazare, Sarukhanian rencontra celle qui deviendra son épouse, Angele Kermezian. Survivante du génocide, Angele avait fui les Turcs de sa Constantinople natale pour Thessalonique avant de s'installer en Italie.
Les grands-parents d'Arturo Sarukhan, Artur Sarukhanian et Angele Kermezian, avec son père. |
Ils se marièrent à Venise, mais furent contraints de fuir à nouveau après l'arrivée au pouvoir de Benito Mussolini et la mise en place d'un gouvernement fasciste. Craignant de la tournure que pourrait prendre ces événements, la jeune famille s’embarqua dans le premier bateau pour le Canada. Bien que le Canada fût leur destination finale, c’est au cours d’une escale au Mexique, qu’ils jetèrent leur dévolu. Ils tombèrent amoureux de ce pays et s'installèrent à Mexico. Parlant neuf langues, Artur Sarukhanian raccourcit son patronyme pour en faciliter la prononciation aux autorités mexicaines.
La fiche d'entrée au Mexique d'Artur Sarukhanian, 1930 |
Comme beaucoup de rescapés du génocide, Angele dut sa survie à toute une série de miracles. En 1915, lorsque les déportations en masse des Arméniens débutèrent dans l'Empire ottoman, la famille d'Angele fut regroupée par les Turcs et déportée vers la côte, où ils devaient être exécutés. "Mon arrière-grand-mère - qui n'a pas survécu au génocide - lui sangla la poitrine et lui coupa les cheveux pour que les soldats ne découvrent pas que c'était une femme," relate Arturo.
La plupart des membres de la famille d'Angele furent abattus sous ses yeux. Une balle frôla le front d’Angele, laissée pour morte dans un fossé avec d'autres cadavres.
Elle réussit à s'enfuir avec sa sœur, un oncle et une tante, et fut ensuite secourue par des pêcheurs grecs, qui l'aidèrent à gagner Thessalonique.
Sarukhan se souvient avoir passé beaucoup de temps avec sa grand-mère qui, à l’instar de nombreux survivants, ne s'appesantissait pas sur le passé. "Elle gardait le silence sur son vécu," note Arturo. "Elle parlait surtout de mon grand-père... En fait, c'est mon père et ma tante qui me parlaient de ce que ma grand-mère avait enduré pendant le génocide. Les références de ma grand-mère au génocide consistaient à nous réprimander quand nous ne mangions pas ou que nous laissions de la nourriture dans nos assiettes."
La responsabilité de protéger
Si un petit nombre d'Arméniens fiers et actifs vivent actuellement au Mexique, de nombreux membres de la communauté mexico-arménienne, qui se constitua suite au génocide, sont partis aux États-Unis et au Canada après la Seconde Guerre mondiale. Arturo Sarukhan a néanmoins le sentiment que ses origines arméniennes ont joué un rôle essentiel eu dans le bon déroulement de sa carrière de diplomate mexicain.
Sarukhan a étudié les relations internationales et l'histoire à Mexico, puis a effectué un troisième cycle de politique étrangère américaine à l'université John Hopkins (SAIS) de Washington. Il a intégré le ministère mexicain des Affaires Etrangères en 1993 et a rejoint Washington en tant que chef de cabinet à l'ambassade du Mexique. Il a aussi occupé le poste chef du service politique au ministère des Affaires étrangères et celui de consul général du Mexique à New York. Puis il a pris la tête d'une des principales ambassades à Washington.
Le vécu de ses ancêtres, note-t-il, a contribué à le guider en tant que diplomate.
Son milieu arménien "a forgé mon engagement à défendre les principes clé d'un système international, fondé sur des règles du 21ème siècle, telles que la responsabilité de protéger (R2P) et la nécessité d'une mémoire historique comme fondement d'une réconciliation."
Arturo Sarukhan avec les membres de sa famille à Fresno, en Californie, lorsqu’il était ambassadeur du Mexique |
Se décrivant comme "un fervent amateur de foot," c'est sa famille qui lui apporte le plus de joie. Il a rencontré sa femme, Veronica Valencia, à Washington, et a deux filles, Laia, 10 ans, et Ani, 7 ans.
Sa plus grande réussite ? "Avoir servi mon pays et, je l'espère, donné en retour à une nation qui a ouvert ses portes à ma famille paternelle et maternelle, en quête d'un asile et d'un refuge."
Ce récit a été authentifié par l'équipe de chercheurs de 100 LIVES.