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Chahan Yeretzian

Chahan Yeretzian

« C’est en buvant un très bon expresso, chose rare, que l’on déguste véritablement un excellent café. Pour moi, le café doit avoir du corps, c’est ce que j’appelle l’essence même du café. C’est pour cela que le café ne doit pas être trop dilué. De plus, j’aime la graine de cacao et des saveurs sèches et torréfiées mais avec un brin d’amertume bien prononcé. » C’est dans ces mots que Chahan Yeretzian décrit la tasse de café idéale. 
 

Le professeur Chahan Yeretzian est un chercheur en café vivant en Suisse. Yeretzian enseigne la chimie analytique, la chimie bioanalytique et les diagnostiques à l’Université des sciences appliquées de Zürich. Travaillant aussi bien pour le secteur privé que pour le gouvernement, il mène des recherches sur les tenants et les aboutissants du café. Avec son équipe d’experts, ils ont développé des méthodes et des instruments qui leur permettent d’évaluer non seulement les changements les plus subtils qui s’opèrent dans les graines de café pendant la torréfaction, mais aussi le moment exact de leur apparition.

« C’est ainsi qu’on obtient des saveurs particulières » explique Yeretzian. Pour réaliser son travail, il boit entre six et huit tasses de café par jour, parfois plus. Depuis 2009, Yeretzian est membre du comité de la section suisse de la Specialty Coffee Association of Europe. En 2014, il a été élu directeur général et préside par ailleurs le comité de recherche de l'association. Un an plus tard, il a été élu au comité de l’Association Scientifique Internationale pour le Café (ASIC). Il consacre tous ses efforts au développement de la chaîne de de production et de distribution du café dans les pays où cette boisson est consommée. Il contribue ainsi à l’amélioration de la qualité du produit final que l'on boit.

 

Après avoir obtenu son diplôme de doctorat en chimie de l’Université de Berne en Suisse et après avoir reçu une bourse d’études, Yeretzian a déménagé en Californie, où il a mené des recherches à UCLA pendant trois ans. Il a ensuite reçu le Prix d’Alexander-von-Humboldt Junior et a déménagé en Allemagne, où il a poursuivi ses recherches à l’Université technique de Munich pendant deux ans. En 1996 il est retourné en Suisse pour travailler au Centre de Recherche Nestlé à Lausanne, le lieu où il consacre son temps aux recherches sur le café.

 

  Chahan Yeretzian avec ses parents, Aïda et Kegham Yeretzian au Liban durant été 1966

 

Le plus mauvais étudiant devenu premier de la classe.

Chahan Yeretzian est né à Alep, en Syrie, en 1960. Enfant, il n’aimait pas l’école. Cela ne l’a pas empêché une fois adulte, de mener une brillante carrière académique. Il avait sept ans lorsque son père décida de quitter la Syrie. En 1967, les tensions dans la région étaient arrivées à un point tel qu’elles débouchèrent sur la « Guerre des Six Jours » entre Israël et ses voisins arabes. Tous les cadres fonctionnaires en Syrie ont été mobilisés y compris son père, qui n’avait rien d’un militaire. « Il a immédiatement pris la décision de partir le jour où il a reçu chez lui son uniforme d’officier» se souvient Chahan.

Le père de Chahan entretenait de bonnes relations avec des organisations internationales et avait par conséquent reçu l’opportunité de travailler pour l’une d’entre elles en Suisse, une offre qu’il a acceptée sans hésiter. « Au début j’éprouvais de grandes difficultés pour pouvoir m’exprimer dans une langue étrangère et avais même du mal à suivre en classe. De toute façon, je n’étais pas vraiment intéressé par les cours » se rappelle Chahan. Au cours des trois années qui ont suivies, il était le plus mauvais élève de sa classe. « Comme dans toute famille arménienne, l’éducation était pour nous d’une grande importance, alors ma mère a commencé à m’aider pour les devoirs ».

 

                       Chahan Yeretzian avant son départ pour la Suisse, Beyrouth, 1964

 

À partir de ce moment, il était parmi les meilleurs étudiants de sa classe et s’est fait beaucoup d’amis. « Mes parents ont toujours insisté sur l’importance d’être bon dans ce qu’on fait. » dit Chahan, qui est aussi un bon sportif faisant autrefois partie de la Nationale League B de Volleyball en Suisse.

« Pour mon père il était très important que je sois toujours le meilleur dans ce que je faisais » ajoute Chahan. « Mon père Kegham avait eu une enfance très difficile. Il était pauvre et devait travailler après les cours dès l’âge de 17 ans pour subvenir aux besoins de sa mère et de son petit frère. Malgré ses circonstances, il a toujours été le premier de sa classe et a poursuivi ses études en droit et en politique. Une fois diplômé, il a commencé à travailler à l’âge de 23 ans dans la filière de la Syrian Railroads (les Chemins de Fer Syriens) à Alep, occupant progressivement des postes de responsabilité, tout en étant responsable de la branche d’Alep de l’Union Générale Arménienne de la Bienfaisance (UGAB). Il n’était pas engagé politiquement, c’était quelqu’un d’extrêmement consciencieux, de très honnête, à la fois franc et strict. Après son arrivée en Suisse, il y fonda la section locale du Fonds Arménien en 1989. »

 

Linda Meymarian et Dikran Yeretzian, les grand parents de Chahan Yeretzian, à leur mariage, 1923

 

Kegham Yeretzian a perdu son père à l’âge de 15 ans. Sa mère, Linda Meymarian, survivante du génocide des Arméniens, s’était remariée, mais le beau-père n’avait jamais été considéré comme un membre de la famille. « Je n’ai jamais rencontré mon grand-père, Dikran Yeretzian, né à Sassoun, qui était le seul membre de famille à avoir survécu aux déportations. Même avant que ces dernières ne commencent, les Turcs ont attrapé et tué son frère David alors qu’il était en route pour appeler à l’aide afin de sauver sa ville natale encerclée » raconte Chahan. Quelques temps après, son grand-père Dikran a ouvert une pharmacie à Alep, une pharmacie qu’il a dû vendre quelques années plus tard. « Ma grand-mère Linda était très gentille. Elle était née à Adana en 1907. Au début du génocide, la famille Meymarian est partie à temps pour Alep, où ils ont construit une nouvelle vie. Les Meymarian étaient une assez grande famille, qui possédait des terres et des maisons à Adana. »

 

                             Kegham Yeretzian et Aïda Papazian à leur mariage, 1957

 

Une rencontre idéale dans le journal

« Mon père a lu dans le journal que ma mère, une fille de 18 ans à l’époque, avait terminé ses études secondaires à Beyrouth première de sa classe. Il a écrit à sa famille, demandant une visite pour faire des présentations formelles. Après avoir reçu l’invitation, il est parti à Beyrouth pour demander sa main » se souvient Chahan. La mère de Chahan, Aïda, venait d’une famille très respectée qui avait quitté Constantinople (aujourd’hui Istanbul) avant le génocide.

 

                                          Kevork Papazian, le père d’Aïda Papazian

 

« Nous avons surtout été élevés par notre mère», dit Chahan. « Mon père avait un emploi de temps très chargé. C’était un homme qui avait le sens des responsabilités, un exemple pour nous, enfants » constate Chahan, ajoutant que sa mère, nostalgique de l’Arménie et vivant en Suisse, participait régulièrement aux activités culturelles et attachait beaucoup d’importance à l’apprentissage de l’arménien par ses enfants. « Et pourtant je ne me sens pas uniquement Arménien. À la question qui suis-je, je réponds toujours que je suis d’abord Arménien, mais avec une façon de penser suisse. Cependant, bien que je connaisse l’histoire de la Suisse, c’est l’histoire des Arméniens que je considère comme la mienne » affirme le professeur. Il apprécie tout particulièrement la vision qu’ont les Arméniens de la famille : « Faire partie d’une grande famille où règne le partage » selon ces mots.

Yeretzian est convaincu que les Arméniens ne devraient pas se perdre dans leur lutte pour la reconnaissance des massacres en tant que génocide. Il est d’accord avec le fait que cette reconnaissance est importante pour l’histoire mondiale, l’Europe et la Turquie, dont la politique de négationnisme d’État constitue un frein majeur au développement futur du pays. « Cependant, en ce qui me concerne, tout cela fait partie du passé », affirme Chahan. « En tant que nouvelle génération d’Arméniens, c’est notre devoir de regarder de l’avant et de façonner le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. »

Chahan Yeretzian est marié à Carla Kapikian, une Américaine de New York d’origine arménienne. Le couple a deux enfants, Liana et Michel.

 

Cette histoire a été authentifiée par l’équipe de chercheurs de 100 LIVES